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trafikandar

L'intranquillité de Wilfrid Almendra

16 Janvier 2014 , Rédigé par Nitischer Zamre Publié dans #Arts PlastiK

Je retranscris ci-après l'excellent article de Julie Portier du 16 décembre 2013 paru dans le Quotidien de l'Art :

"Peu d'espaces d'expositions rivalisent avec l'inhospitalité de ce patio brutaliste rescapé des bombardements. Invité par Etienne Bernard, nouveau directeur du centre d'art Passerelle à Brest, Wilfrid Almendra tient tête à cette architecture avec une autre construction, celle-ci en verre et en acier. Elle surgit au centre de la dalle de béton, désaxé, monstrueusement, tel le spectre d'un faux jumeau sorti de terre pour reprendre ses droits. L'intranquillité dessine deux grands parallélépipèdes, l'un fermé par une paroi de plusieurs tonnes de plaques de verre décaties, l'autre ouvert, formé d'un seul tenant par une poutrelle de soutènement en acier rouillé, portée par un unique pilier de béton, et entre les deux une jardinière monumentale enserrée dans un couloir de verre. Vu d'en haut, c'est clair, la sculpture suit purement la leçon du minimalisme, en délimitant souverainement l'espace de l'art, par un geste simple (bien que musclé). Mais en bas, on est tenté de faire le tour pour trouver une entrée ou percer le secret de cet ovni architectural, au croisement entre la ruine moderniste et l'ambitieuse cabane de jardin ouvrier. Errant dans cet entre-deux, gagné par une mélancolie dont on ne situe pas bien l'origine, et observant émus la persévérance des escargots derrière l'impénétrable clôture de verre, c'est l'effroi : des plaques ne sont soudées entre elles que par un mince joint de vitrier. Elles plient déjà sous la poussée des plantes, tandis que cette fantaisie graphique en poutre IPN pourrait bien tout faire basculer. Plus que jamais, l'intérêt de Wilfrid Almendra pour les symptômes ordinaires de la dilution de l'esthétique moderniste, observés dans les zones pavillonnaires, les espaces périurbains ou semi-ruraux, prend une charge critique : cette architecture impure car issue de la libre interprétation du modernisme motivée par le modeste désir de se fabriquer un petit coin de paradis dans la marge des grands plans d'aménagement, cette construction à laquelle se réfère la sculpture monumentale d'Almendra est une bombe à retardement. La tension dont elle est le théâtre est le produit de cet écart entre les projections des urbanistes à l'ère des utopies et la réalité actuelle de l'habitat, entre l'idéal communautaire et les aspirations individualistes qui en ont triomphé. Mais comme le souligne Zoé Gray dans son excellent texte pour le catalogue monographique tout juste paru, "l'essentiel de son travail ne se concentre pas uniquement [contrairement à plusieurs artistes de sa génération] sur l'échec de l'architecture moderniste" ; en effet, au revers de ce constat d'échec, Almendra scrute la créativité du système D ou l'emphase de l'art "vernaculaire" qui perdure dans le caniveau de la modernité et pour lequel il a un authentique appétit. Ce pourrait être la force de cette créativité déclassée, cet appropriationnisme inconscient pratiqué dans le garage le dimanche, que célèbrent par mimétisme les bas-reliefs de la série de 2009 Killed in Action (Case Study House). Les dix pièces réunies ici s'inspirent de l'expérience des Case Study Houses construites sur la côte Ouest des Etats-Unis entre 1945 et 1966, d'après des plans qui promettaient des maisons moderne à moindre coût. Descendant des collages propres aux avant-gardes révolutionnaires, les reliefs d'Almendra figurent, sous ce titre violent, un schisme culturel absorbé dans un crash temporel ; quand les matériaux braconnés sur les ruines des utopies abâtardies (crépis grossiers, bitume et frisette vernie, regagnant une certaine noblesse dans l'esthétisme de ces assemblages) commémorent leurs propres rêves abandonnés.

(Wilfrid Almendra, éd. Les presses du réel)

Vue de l'installation L'intranquillité de Wilfrid Almendra, Production Passerelle Centre d'art contemporain, Brest, 2013 | NICOLAS OLLIER

Vue de l'installation L'intranquillité de Wilfrid Almendra, Production Passerelle Centre d'art contemporain, Brest, 2013 | NICOLAS OLLIER

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