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Nicolas de Crecy - Paul et Ludwig Wittgenstein - Centre d'Art Le Quartier Quimper

19 Avril 2016 , Rédigé par Nitischer Zamre Publié dans #Arts PlastiK

Paul Wittgenstein - Ludwig Wittgenstein huiles sur toile
Paul Wittgenstein - Ludwig Wittgenstein huiles sur toile

Paul Wittgenstein - Ludwig Wittgenstein huiles sur toile

Nicolas de Crecy - Paul et Ludwig Wittgenstein - Centre d'Art Le Quartier Quimper

La rétrospective actuellement consacrée au dessinateur et plasticien Nicolas de Crécy par le Centre d'art contemporain Le Quartier à Quimper, réalisée en collaboration avec le Fonds Hélène et Edouard Leclerc de Landerneau, met en lumière l'univers singulier de l'artiste, à la fois étrange et absurde, poétique et grinçant.

Dans la première partie dédiée à l'oeuvre graphique du dessinateur, l'exposition explore son univers à travers différents médiums et techniques de la bande-dessinée.

Dans la seconde partie, elle révèle l'artiste plasticien qu'est aussi Nicolas de Crécy. Avec une série d'oeuvres, il livre un travail qui, reprenant les codes de la pratique curatoriale, évoque la vie du pianiste virtuose Paul Wittgenstein et celle de son frère, le philosophe Ludwig Wittgenstein.

Nicolas de Crécy place en parallèle les deux frères, que deux ans séparent.

Le destin de Paul Wittgenstein précocement brisé, alors que jeune pianiste au talent prometteur, il est blessé à la guerre en 1914 et doit être amputé de sa main droite. Hasardeuse est la décision qu'il prend alors : poursuivre sa carrière et devenir un virtuose reconnu. Il y parviendra. Et sa fortune familiale lui permettra aussi de commander des pièces pour main gauche seule à des compositeurs célèbres de l'époque dont Prokofiev, Hindemith, Britten ou encore Ravel qui composera le célèbre "concerto pour main gauche".

Ludwig Wittgenstein, quant à lui, développe très jeune une pensée philosophique singulière. Brillant étudiant logicien, élève de Russel à Cambridge en Angleterre, il rédige un texte majeur pendant la guerre et le publie dès 1922. Le texte de Tractatus logico-philosophicus. Des sentences issues de cet ouvrage ponctuent l'exposition dont certaines entrent en résonance avec la vie du pianiste ainsi que celle du philosophe lui-même, dans le contexte de leurs existences troublées tant par les événements extérieurs que personnels.

Comme dans un musée personnel, l'évocation des deux frères se compose de portraits, de paysages, d'objets qui sont autant de références aux existences des deux frères. Des dessins à l'encre, au crayon, à l'huile, de grande taille, parfois réalisés de la main gauche par référence à la main droite amputée, évoquent la vie résiliente, comme résistante à l'appel du gouffre situé juste au-delà d'une frontière ténue. La dépression et le désarroi.

Parcourons les oeuvres.

Un piano "automobile", muni d'un compteur de vitesse, d'un rétroviseur et d'un simulacre de moteur, le ventre ouvert, explore de son oeil de cyclope le néant du futur. Métaphore désopilante esquissant une mécanique absurde.

Puis à l'encre le relief blanc des Alpes autrichiennes, où Ludwig avait projeté de mettre fin à ses jours en 1919 . Au centre, minuscule, figure un piano. Citation dérisoire perdue dans un paysage enserré de nuages dont on ne perçoit qu'une part, invite à une recréation mentale de la partie non visible. L'espace du tableau semble vouloir suggérer l'évocation du corps fragmenté et parcellaire du philosophe tourmenté.

Dans cet espace muséal trônent les portraits des compositeurs auxquels le virtuose commandera des oeuvres musicales. Une série de ces portraits est aussi réalisée à la main gauche par Nicolas de Crécy.

Ici, Nicolas de Crécy utilise un support inhabituel, un drap d'hôpital fixant la représentation d'un couloir, comme dans un réflexe fiévreux pour conserver un souvenir brut.

Là, au centre d'une toile, trône la main coupée, surdimensionnée, représentée comme encore vivante.

Ou encore ce clavier minéral estampillé "Bösendorfer" dont les touches semblent cristallisées dans la pierre pour l'éternité. Echo du cageot sur lequel, prisonnier des russes à Omsk, Paul avait dessiné les touches d'un piano et simulait le jeu musical, habituait sa main gauche valide, sous le regard halluciné des autres, le croyant devenu fou.

L'explosion de l'obus, crayonnage hachuré de fusain, illustre la brutalité imprévisible de la guerre.

Quatre tableaux alignés, peints comme des Monet ou des Turner, présentent des vues de Krasnystaw en Pologne et d'Omsk en Sibérie occidentale, où Paul fut retenu prisonnier par les russes. Le brouillard dont l'opacité rend méconnaissable les villes semble témoigner de la difficulté à s'extraire du traumatisme de la perte puis de l'absence de sa main droite.

Enfin, dans un dernier espace, le membre disparu est suggéré sous une forme drapée de blanc, dans une salle obscure où résonnent les notes de "sonate et interludes pour piano préparé" de John Cage, comme une apostrophe musicale adressée par la main vivante, requiem lancinant, à la main amputée.

Dans cette évocation des frères Wittgenstein notre attention a été capturée au détour de deux petites phrases entrouvrant un parallèle inattendu entre les deux frères.

Elles sont de Ludwig Wittgenstein :

« Mon livre consiste en deux parties : celle ici présentée, plus ce que je n’ai pas écrit" et c'est "précisément cette seconde partie qui est la partie importante".

Le bras droit de Paul le pianiste nous semble alors comme le miroir de la pensée non écrite du philosophe ; les deux considérés comme les plus importants pour le musicien comme pour l'écrivain et dont l'immatérielle présence renforce le sens et la portée sensible de la matérialité audible et lisible dévoilant la part de génie des oeuvres de l'un et de l'autre. Leur origine commune étant animée par le dépassement de soi.

 Alpes autrichiennes, Tractacus pour piano, Fusain sur papier - Vues générales de Omsk et de Krasnystaw, Huile sur toile Alpes autrichiennes, Tractacus pour piano, Fusain sur papier - Vues générales de Omsk et de Krasnystaw, Huile sur toile
 Alpes autrichiennes, Tractacus pour piano, Fusain sur papier - Vues générales de Omsk et de Krasnystaw, Huile sur toile Alpes autrichiennes, Tractacus pour piano, Fusain sur papier - Vues générales de Omsk et de Krasnystaw, Huile sur toile

Alpes autrichiennes, Tractacus pour piano, Fusain sur papier - Vues générales de Omsk et de Krasnystaw, Huile sur toile

Ludwig Wittgenstein, à propos de Tractatus logico-philosophicus :

« Mon livre consiste en deux parties : celle ici présentée, plus ce que je n’ai pas écrit. Et c’est précisément cette seconde partie qui est la partie importante. Mon livre trace pour ainsi dire de l’intérieur les limites de la sphère de l’éthique, et je suis convaincu que c’est la SEULE façon rigoureuse de tracer ces limites. En bref, je crois que là où tant d’autres aujourd’hui pérorent, je me suis arrangé pour tout mettre bien à sa place en me taisant là-dessus. »

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Paul et Ludwig Wittgenstein enfants

Paul et Ludwig Wittgenstein enfants

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